À la tête de sa marque صنع في إفريقيا – Made In Ifriqiya, Nesrine Makhlouf convoque toute la scène créative et pop de Tunisie à la table d’un « festin nu » textile, haut en couleur et définitivement panafricain. Rencontre.
Lorsque l’on feuillette le lookbook de صنع في إفريقيا – Made In Ifriqiya, on y croise Waf, la vidéaste d’Arabstazy, l’artiste queer Khookha, une philosophe, un breakdancer… bref, une belle sélection de la scène culturelle et musicale tunisienne !
Cela fait pas mal de temps que je travaille en binôme avec le vidéaste Ilyes Cherni, les autres membres de l’aventure sont toutes et tous des mains-fortes, des proches, des amis ! صنع في إفريقيا – Made In Ifriqiya, c’est aussi faire le constat que nous avons tout ici, en Tunisie et en Afrique de façon générale, pour mener à terme des projets complets, et autonomes !
Made In Ifriqiya, initiative Panafricaine?
Oui, définitivement. Malheureusement, la Tunisie est un pays qui n’assume pas son africanité, et c’est d’ailleurs un gros problème identitaire et culturel selon moi. La culture africaine est à peine effleurée à l’école, au profit d’une tunisianité artificielle, toute fantasmée. Moi, je milite pour que notre pays se réinstalle dans son continent. صنع في إفريقيا – Made In Ifriqiya, c’est précisément une marque de fabrication 100 % africaine, qui croit à la culture et aux échanges Sud-Sud. Notre fabrication est locale, artisanale, mené par trois couturières, loin des gros processus de production industriels. On opère un retour esthétique sur notre propre territoire, tout en prônant l’ouverture et le métissage culturel. C’est un mouvement nouveau, dans la mode en tout cas.
En même temps, la pandémie et ses nombreuses conséquences renvoie, de fait, les peuples à leurs territoires…
Sans vaccin à l’horizon, avec les frontières qui se ferment et les aéroports qui tournent au ralenti, oui, le confinement renvoie clairement les peuples à leur territoire. Pour ne pas subir cette situation, il faut chercher le meilleur, à côté de chez soi. Et ce malgré la crise sanitaire, sociale et économique induite par la pandémie. Le marché tunisien est, à ce titre, particulièrement touché. Mais qu’importe ! À nous d’avancer et de dessiner de nouvelles solidarités. Ces récentes dynamiques qui agitent la société tunisienne ont renforcé la création de صنع في إفريقيا – Made In Ifriqiya.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez lancé votre campagne vidéo au Kram, quartier populaire situé entre La Goulette et la très bourgeoise Carthage ?
Le Kram est un quartier très vivant, populaire, pas suffisamment mis en lumière selon moi. C’est ce genre d’endroit qui m’inspire et m’intéresse. Ce quartier est l’écrin parfait pour y mettre en scène l’African street style. Tunisiens, Marocains ou Sénégalais, chacun de nous peut s’y voir et s’y retrouver ! Et puis se servir de la musique composée par le producer Ratchopper sur des images du Kram, cela faisait sens je trouve. Cette association m’a permis d’explorer cette esthétique très rue, très Trap, qui me nourrit et m’interpelle.
Lorsque tu fais poser l’artiste féministe queer Khookha, la normalité pour toi peut devenir une forme de parti-pris, d’autant plus en Tunisie.
Nous ne développons pas uniquement une marque commerciale. Made In Ifriqiya, c’est une façon de faire voyager des engagements, une vision, un état d’esprit. Khookha, l’activiste féministe queer à qui tu fais allusion, est une artiste audacieuse, résiliente et déterminée. Je fais partie du monde LGBT et j’ai voulu étendre la marque à ces valeurs. Après, ce n’est pas un manifeste, ni un positionnement, c’est une ouverture qui se fait naturellement, ça vient se poser comme ça, simplement. Made In Ifriqiya est une marque pour tous le monde. Je suis une femme, africaine, ronde, je voulais des vêtements qui parlent à tous types de corps. Il n’est pas question de faire porter nos créations à des mannequins professionnels, complètement hors-sol par rapport aux gens de la vraie vie.
La collection de صنع في إفريقيا – Made In Ifriqiya est visible dans les locaux d’Hokka Hendy, à la Marsa.
À suivre de près : les samedis de la SAPE, journées de DJing, d’accrochage photographique éphémère et de découverte culinaire, dont les programmes sont conçus par la marque.
Made In Ifriqiya, made in Tunisia, Africa.